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Mélange de genres26 mars 2021

Ce mardi 23 mars, l’émission « Grand bien vous fasse » de France Inter a reçu Henri Gougaud, écrivain, poète, conteur, chanteur français et occitan, pour une rencontre sur le thème « La Sagesse des Contes », qui a ravi nos oreilles pendant 52 minutes.

Comme à l’accoutumée et avec son inimitable talent, Henri Gougaud a parlé de manière juste et très inspirée du conte en général, de ses qualités d’universalité, de son rôle ancestral de « compagnon de vie », qui enseigne, nourrit, aide à grandir, aussi bien les adultes que les enfants, et qui nous parle de la Vie plus que des histoires du Monde…

Pourtant une première dissonance s’est produite, lorsqu’une invitée de l'émission a évoqué le baiser donné par le Prince à La Belle au bois dormant, estimant bon d'ajouter que ce passage du conte était une « formidable occasion d’aborder le problème du consentement avec les enfants ». Quel étrange mélange de genres !



Associer les problèmes du monde au symbole du baiser, symbole de souffle et de vie… Comment accepter de laisser ainsi ramener la puissance multi-millénaire du conte à la dimension au premier degré d’une histoire, d’un scénario, qu’il emprunterait pour délivrer un message social et contemporain ? Car si le conte nous aide à grandir, et donc nous donne la capacité d’affronter les problèmes du monde, c’est parce qu’il nous met en chemin pour chercher et découvrir les clés de développement personnel qu’il contient. Croire que le Prince et la Belle sont un homme et une femme au sens physique est une réduction simpliste qui ignore les niveaux symboliques auxquels agit en nous le sens caché du conte à travers ses différents personnages : la bonne fée, l’ogre, le loup, la vieille femme du fond de la forêt, le dragon, la marâtre, la cadette, etc.

Henri Gougaud a affirmé aussi, avec audace, que peu importait le conteur si le conte était bien servi, bien dit, et que la plus belle et la plus grande des conteuses était sans doute une mère qui conte le soir à son enfant avec amour une histoire pour l’aider à comprendre la vie et l’aider à grandir.

Mais tout de suite après, une nouvelle dissonance s’est manifestée lorsqu’un des chroniqueurs a chanté les louanges de conteurs spectaculaires, laissant entendre aux auditeurs de l’émission que seuls des conteurs stars comme ceux qui se produisent sur de grandes scènes pouvaient donner le goût du conte : « Vivement que les salles de spectacles ouvrent à nouveau, pour pouvoir enfin entendre ces conteurs ! » disait-il...

Vraiment, mon regret est que, dans cette émission riche et intéressante, personne n’ait parlé du travail de fourmi réalisé depuis des décennies par des conteurs et des conteuses locaux, amateurs ou professionnels, dans les écoles, les collèges, les bibliothèques, les centres de loisirs, les soirées contes chez l’habitant, les maisons de retraite, auprès de tant de publics très éloignés de la culture. Le conte est véhiculé là, il y vit, porté de bouche à oreilles par des anonymes généreux, infiniment et discrètement amoureux du conte et de ses valeurs.

Au début de l’émission, Henri Gougaud a commencé avec cette superbe affirmation : “ Le conte n’est pas, et n’a jamais été une affaire de lettrés, mais une affaire de gens simples, en contact avec la vie et désireux de la transmettre”.

Alors, réjouissons-nous bien sûr quand les médias s’intéressent au conte et parlent de lui, ce qui est assez rare pour que nous en fassions cas ici, mais ne nous trompons pas, et que cela ne nous tourne pas la tête ! En effet, à l’issue de cette émission, je me suis sincèrement demandé si les médias audiovisuels étaient un support adapté pour le conte...

Et voici ma conclusion : c’est bien là notre rôle essentiel, nous, les conteurs et conteuses des Rouleparoles ou d’ailleurs, de le faire circuler sur son support favori : la parole des hommes et des femmes, de bouche à oreilles, dans une authentique relation vivante parce qu’interactive. “Vivement que les rassemblements de personnes soient de nouveau possibles, dans les jardins, les classes des écoles, sur les terrasses des maisons de retraite, partout et pour tous, pour que roule à nouveau cette parole simple et essentielle !”

Nell Müh, conteuse de la Compagnie Rouleparoles